Le Cerisier (Extraits)
[….] Cela faisait longtemps que tonton Hüseyin et sa femme s’étaient abandonnés au sommeil. Dès que le ciel s’assombrissait, ils éteignaient leurs lumières et se couchaient. Et nous, garnements en bande organisée du quartier, nous sautions par-dessus le muret surmonté de barbelés pour nous retrouver dans leur jardin. Hakan faisait le guet, Mehmet grimpait sur l’abricotier, et moi, je me glissais avec Selim sur les branches entremêlées du cerisier. Je m’installais toujours sur la cime de l’arbre. Pris de sensations enivrantes comme les alpinistes escaladant l’Himalaya, j’éprouvais le plaisir charnel de croquer les cerises du sommet de l’arbre, alors que notre réfrigérateur débordait de fruits.
[…] La voix stridente de Hakan nous déchira les oreilles. Effrayé mais conscient de sa responsabilité, il avait laissé sa panique exploser dans la nuit. Alerté par la sonnette de la porte métallique du jardin de tonton Hüseyin, il avait déguerpi en sautant par-dessus le muret. J’espérais que la porte ne s’ouvrirait pas, certain que tonton Hüseyin dormait déjà profondément. Tandis qu’on sonnait avec insistance, je restais figé au sommet de l’arbre. Mais quel goujat donc dérangeait tonton Hüseyin et sa femme à une telle heure de la nuit ?
Alors que le son plaintif de la sonnette s’était tu, on entendit le grincement de l’ouverture de la porte.
« Mais non, tonton Hüseyin, tu avais vraiment besoin d’ouvrir !? » me dis-je.